Mardi 7 décembre 2010
Cancer - Enfin un marqueur commun ?
Une équipe française de l’Inserm a constaté un marqueur biologique commun à onze cancers, le récepteur de FSH, qui s’exprime apparemment dans les vaisseaux sanguins des tumeurs, et pourrait être repéré par imagerie –et donc favoriser le diagnostic des cancers, voir permettre d’envisager un nouveau traitement.
« Une piste très intéressante.» Une étude dirigée par Nicolae Ghinea, docteur en biologie et directeur de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), menée en collaboration avec l’équipe de Aurelian Radu du Mount Sinai School of Medicine, New York, a découvert l’existence d’un marqueur biologique commun à 11 cancers (prostate, sein, colon, pancréas, vessie, rein, poumon, foie, estomac, testicules, ovaires), l’hormone folliculo stimulante ou «récepteur de FSH». Une découverte de taille, qui pourrait faire évoluer le diagnostic des cancers, et donc leur traitement. Le professeur Jacqueline Godet, vice-présidente de la Ligue contre le cancer en charge de la recherche, décrypte pour ParisMatch les enjeux de cette découverte.
Pour le comprendre, qu’est-ce que récepteur de FSH ? «C’est une molécule qui se trouve à la surface des cellules ou traverse leur membrane, et est sensible à l’hormone folliculo stimulante, qui existe dans le système reproductif de l’homme et la femme, et dont le rôle est de stimuler le récepteur», explique le Pr Godet. «Cette hormone agit sur le récepteur qui se trouve dans les ovaires, chez la femme, ou dans les testicules chez l’homme, et stimule la production d’ovules et de spermatozoïdes, précise-elle. Dans ces tissus normaux, le récepteur, stimulé par l’hormone, s’exprime. Ça c’est dans des situations normales», souligne-t-elle. «Dans une observation ancienne, des chercheurs ont ensuite observé que dans ces tissus gonadiques [des organes sexuels, ndlr], il y avait des vaisseaux sanguins où le récepteur s’exprimait un tout petit peu, poursuit Jacqueline Godet.»
Dix ans de recherche
«Alors l’équipe de chercheurs de l’Inserm s’est demandée si ce récepteur pouvait s’exprimer dans les vaisseaux sanguins qui irriguent les tumeurs cancéreuses. Pour le savoir, elle a prélevé chirurgicalement des tumeurs sur de patients –qui n’avaient reçu aucun traitement. Et ils ont constaté que dans toutes ces tumeurs, il y avait une forte expression de ce récepteur», raconte-t-elle encore. Et dans des endroits pas anodins en plus: «dans les vaisseaux sanguins, à la périphérie intérieure de la tumeur, une expression qui pourrait être repérée par imagerie.» Autrement dit, cela pourrait constituer «un outil de diagnostic important», «délimiter le volume de la tumeur», et donc «mieux cibler les traitements par radiothérapie». Un marqueur biologique très prometteur.
«J’ai eu l’intuition qu’il pouvait y avoir un lien entre cette FSH et les tumeurs cancéreuses car les deux avaient un point commun: leur façon d’agir sur vaisseaux sanguins», a expliqué au «Parisien» Nicolae Ghinea, dont cette étude est l’aboutissement de dix ans de recherches. «Au départ, j’espérais simplement découvrir ces récepteurs sur les tumeurs de la prostate. Quand j’ai vu que les récepteurs étaient présents sur onze tumeurs, j’ai compris qu’on avait trouvé quelque chose d’important», poursuit-il. Cette observation a été faite sur 13336 patients, dont plus de la moitié (773) souffraient de cancer de la prostate. Quant aux 563 autres cas, ils recouvraient 10 autres types de tumeur. Les cancers étaient tant à des stades avancés que précoces. «Curieusement, cette observation ne concerne pas les cancers du rein, mais on ne sait pas encore pourquoi», remarque la vice-présidente de la Ligue contre le cancer.
Vers un nouveau traitement thérapeutique ?
En rêvant encore plus loin, cette avancée pourrait avoir d’autres avantages. «Ce récepteur FSH, quand on regarde de très près, est exprimé du côté de la lumière des vaisseaux sanguins, continue le professeur Godet. Ce qui est intéressant, car cela laisse entendre un rôle présumé de ce récepteur: il pourrait faciliter l’angiogénèse, c'est-à-dire l’extension des vaisseaux sanguins. De fait, si parvenait à bloquer ces récepteurs (par voie médicamenteuse intraveineuse), l’on pourrait bloquer la progression de la tumeur. Cette découverte ouvre donc la porte à l’élaboration d’un nouveau traitement thérapeutique par voie intraveineuse.» Ce qui serait révolutionnaire. «Mais ce ne sont que des hypothèses», nuance Jacqueline Godet. «Les auteurs eux-mêmes précisent bien qu’on est loin des essais cliniques», insiste-t-elle. «Ce n’est pas pour demain, même si j’espère que cela arrivera un jour», conclut également le chercheur. Même pour ce qui est du diagnostic et du traitement thérapeutique, la vice-présidente de la Ligue contre le cancer, ne veut pas s’emballer sur le calendrier. «Ce que je peux vous dire, c’est que vraisemblablement –c’est ce qu’il se passe habituellement- d’autres équipes dans le monde vont vouloir vérifier cette avancée, et faire leurs propres études. Si elles sont concluantes, cela ouvrira probablement la voie aux essais cliniques.» La recherche demande du temps, mais cette étude, publiée le 21 octobre 2010 dans «The New England Journal of Medicine», est pour le moins «très intéressante».
parismatch Marie Desnos - http://www.parismatch.com
|
|
|