La Commission européenne demande à la Belgique de modifier la loi sur les assurances maladie complémentaires offertes par les mutualités. Cela pourrait se traduire par l’introduction de la sélectivité et des primes plus élevées.
Dans le collimateur de la Commission Européenne : les assurances hospitalisation offertes par les mutuelles. « Mais aussi le remboursement des frais de transport urgent ou l’hospisolidaire dont bénéficient tous nos affiliés francophones, qui couvre les frais d’hospitalisation en chambre commune et à deux lits », souligne Jean Hermesse, secrétaire national des Mutualités Chrétiennes.
Pour les compagnies d’assurances, les mutualités marchent sur leurs plates-bandes sans être soumises aux mêmes règles. « Si elles le veulent, les mutualités peuvent sans problème offrir des assurances automobiles, mais aux mêmes conditions que les compagnies d’assurances » a déclaré Philippe Colle, administrateur délégué d’Assuralia. La justice belge n’ayant pas donné raison aux assureurs, ils se sont tournés vers la Commission européenne, qui les a suivis.
La Commission souligne que les mutualités ne sont pas assujetties aux mêmes règles en matière de solvabilité, de contrôle et de financement. « Cela pourrait se traduire par des degrés différents de protection des titulaires d’assurances et par des distorsions du marché », estime la Commission, qui voudrait que les première et troisième directives sur l’assurance non-vie s’appliquent aussi aux mutualités dans le cadre de cette assurance complémentaire.
L’enjeu est d’importance : sur les sept millions de Belges qui bénéficient d’une assurance intervenant dans les frais non remboursés par la sécurité sociale en cas de séjour à l’hôpital, deux à trois millions le sont via des formules offertes par les mutualités – qui proposent en général des couvertures plus limitées, mais moins chères.
Le gouvernement belge a tenté de défendre le système, qu’il juge capital pour la cohérence de notre système social, en expliquant à la Commission que les mutualités n’opéraient pas de sélection des risques, pas de différenciation dans les primes sinon en fonction de l’âge, et offraient une couverture plus limitée que les assureurs privés. Sans succès : la Commission veut que le gouvernement belge modifie sa législation.
La segmentation constituerait un fameux recul.
Interrogée à la Chambre, Laurette Onkelinx, ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique, a évoqué trois pistes possibles. La première : ne rien faire. L’affaire devrait alors aller devant la Cour de Justice, qui pourrait suivre l’avis de la Commission européenne – un risque que la ministre ne veut pas prendre. Deuxième piste : adapter la législation, et permettre aux mutualités de continuer à offrir ces assurances, mais en respectant les directives non-vie – donc, en se faisant reconnaître comme entreprises d’assurances. Troisième possibilité : intégrer ces assurances complémentaires dans la couverture obligatoire.
Du côté des mutualités, on se penche plutôt pour une négociation. « Si demain nous étions soumis aux mêmes règles que les assureurs, nous serions obligés de faire de la segmentation, ce qui signifierait un fameux recul en matière d’accessibilité aux soins, affirme Jean Hermesse. Nous ne voulons pas voir démanteler notre spécificité, qui est d’offrir cette couverture à tous nos membres, en faisant jouer la solidarité. Mais on pourrait imaginer par exemple d’intégrer dans la législation sur les mutualités certaines contraintes imposées aux assureurs. »
Le phénomène n’est pas propre à la Belgique, souligne Emmanuelle Heidsieck, journaliste française spécialisée dans l’assurance maladie et les questions sociales pour la Tribune, et auteur d’Il risque de pleuvoir, un roman qui décrypte les stratégies des assureurs pour privatiser le système de santé. « En France, à force de recours, les assureurs ont déplacé le débat et poussé les mutuelles à se banaliser, en regardant davantage vers le modèle des assureurs. Et ce n’est pas du tout sûr que cela serve les assurés. » (Trends--Tendances)
Christine Scharff - Trends--Tendances - 22 mai 2008