Les accidents médicaux restent un point sensible
Le phénomène des maladies contractées à l'hôpital n'est plus masqué, il est donc mieux combattu.
Les hôpitaux enregistrent de bons résultats dans la lutte contre les infections nosocomiales. Mais les équipes ont encore des progrès à faire pour limiter les erreurs.
Voilà deux décennies que l'hôpital se préoccupe d'améliorer la sécurité des patients. Et quatre ans que les établissements sont évalués dans cette matière par le ministère de la Santé, avec publication de leurs bulletins de notes dans L'Express. Sollicités pour porter une appréciation au bas du dernier relevé (le palmarès 2010), tous les experts donnent le même avis: "Résultats satisfaisants". Il apportent néanmoins un bémol en ajoutant: "Peut mieux faire".
Le satisfecit, d'abord. Sur le front des infections nosocomiales, la mobilisation va croissant. Ainsi, la proportion d'établissements bien classés (A ou B) s'élève désormais à 70%, contre seulement 48% un an plus tôt. Pour prendre vraiment la mesure de cette accélération, il convient d'opérer un retour en arrière. Inventé par un médecin français, le terme d'"infection nosocomiale" voit le jour en 1988 et -une fois n'est pas coutume- s'impose rapidement dans la communauté internationale, avec une version à peine anglicisée (nosocomial infection). A cette époque, le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, crée les comités de lutte contre les infections nosocomiales (Clin). En 1997, le scandale de la clinique du Sport éclate. Pour la première fois, les problèmes d'hygiène ne se discutent plus seulement entre spécialistes. Ils s'incarnent dans des destins brisés, des victimes souffrant au quotidien du dos, les vertèbres rongées par une redoutable bactérie. Ces patients, bientôt engagés dans un interminable parcours judiciaire, attendent encore le jugement de l'affaire (annoncé pour le 3 février prochain).
Consultez le palmarès et le dossier en cliquant ici.
La cause progresse encore en 2003, portée par la fougue de Guillaume Depardieu, amputé d'une jambe après avoir contracté un staphylocoque doré. L'acteur pose avec sa prothèse pour les photographes et écume les plateaux de télévision, en duo avec Alain-Michel Ceretti, le fondateur du Lien, l'association de défense des victimes de ces infections. En 2005, les hôpitaux calculent, enfin, des indicateurs reflétant leur implication dans la lutte contre les maladies contractées dans leurs murs. L'Express embraye aussitôt, publiant ces informations pointues sous une forme compréhensible par le plus large public. Aujourd'hui, le résultat est là: le phénomène n'est plus masqué, il est donc mieux combattu. "Les médecins osent prononcer le mot d'infection alors qu'avant ils restaient dans le déni en parlant d'inflammation, souligne Alain-Michel Ceretti. Quand des problèmes de ce type surviennent, les prises en charge sont plus précoces donc les conséquences, moins graves".
Prochain chantier: diminuer le nombre d'accidents médicaux.
Question hygiène, les mentalités ont bel et bien changé. Mais les progrès sont moins nets dans la prévention des erreurs médicales. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un oeil sur le cahier de doléances tenu par le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye. Son instance, jouant les intermédiaires entre les citoyens et les services publics, dispose, depuis le 1er janvier, d'un pôle spécialisé dans la santé, avec une ligne dédiée (numéro Azur 0 810 455 455). Le bilan dressé pour L'Express au terme des dix premiers mois d'activité est éloquent.
"Il faudrait dépénaliser la faute médicale"
Pas moins de 5843 requêtes lui sont parvenues. Le motif d'accident médical arrive largement en tête, avec 60 % du total. Ici, une femme arrivée aux urgences pour une suspicion d'occlusion intestinale, décédée quarante-huit heures plus tard sans jamais avoir été examinée par un médecin. Là, un jeune homme immobilisé pour une entorse, mort d'une embolie pulmonaire faute d'avoir reçu un traitement anticoagulant... Seules 17% des réclamations concernent des infections nosocomiales. Le reste concerne des problèmes de maltraitance ou des difficultés à obtenir copie de son dossier médical.
La voix des patients
Rien ne prédisposait Daniel Adam à tenir le rôle de chevalier blanc auprès de patients touchés par une infection nosocomiale. Et sûrement pas sa carrière d'acheteur dans le textile. Aujourd'hui retraité, il fut lui-même confronté à ce problème en 1989, après une opération pour une hernie discale. Atteint de spondylodiscite, une infection d'un disque intervertébral, il avait dû se battre pendant des mois pour que l'hôpital reconnaisse être à l'origine du mal. Rompu aux batailles juridiques, Daniel Adam adhère alors au Lien, l'association de défense des victimes d'infections nosocomiales. Ce qui l'amène tout naturellement à intégrer, en 2007, l'Espace usagers et associations de l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne). Impossible, pour les patients en quête d'informations, de rater son local, situé pile en face de la cafétéria. S'il s'agit d'une plainte, Daniel Adam met en place tout un arsenal, avec l'aide d'avocats et de médecins bénévoles qui étudient le dossier et accompagnent le patient dans ses démarches. "Le parcours du combattant", selon son expression. Il existe désormais des représentants des usagers dans tous les établissements de soins. Leurs coordonnées figurent dans le livret d'accueil. Annabel Benhaiem
Comment diminuer les accidents médicaux ?
Le médiateur de la République, pourtant néophyte dans ce domaine, s'est déjà fait une opinion. "La culture de prévention des risques n'est pas encore entrée dans les moeurs, pointe Jean-Paul Delevoye. L'hôpital devrait se l'approprier en prenant pour modèle la sécurité aérienne." Les autorités sanitaires travaillent dans ce sens.
Il existe, déjà, un système de déclaration obligatoire pour certaines infections nosocomiales, notamment celles qui se sont traduites par un décès. L'Institut de veille sanitaire, chargé de centraliser ces formulaires, en recense environ 1500 par an. Un niveau anormalement bas, d'après l'association Le Lien.
"Selon les études scientifiques disponibles, on devrait dépasser les 4000 signalements, affirme Claude Rambaud, la présidente. La "sous-déclaration" est flagrante."
Pour en finir avec l'omerta, cette ancienne juriste spécialisée en droit de la santé avance une proposition des plus radicales : dépénaliser la faute médicale.
Quoi ? Une militante de la première heure, appréciée des familles en deuil pour sa capacité d'écoute, propose ni plus ni moins de blanchir les médecins en cas de pépin?
"Je ne suis pas tombée sur la tête", précise l'égérie de la sécurité à l'hôpital, avant d'exposer son raisonnement.
"Chez les médecins, la crainte du procès est si forte qu'ils préfèrent généralement cacher leurs écarts, mêmes mineurs. Or c'est à force de signaler les problèmes rencontrés que des solutions sont trouvées et des accidents, évités. Il faudrait dépénaliser la faute médicale, sauf si le praticien, bien sûr, a pris des risques délibérés. Mais ce serait donnant, donnant. En contrepartie, le personnel soignant serait sanctionné lorsqu'il s'abstiendrait de déclarer les incidents." Ce troc aurait le mérite, sans doute, de pacifier les relations entre médecins et patients. Il n'est pas à l'ordre du jour pour l'instant.
L'express
Estelle Saget - http://www.lexpress.fr