Le secteur est en crise ouverte alors que plus de 60 % des interventions se font dans le privé.
Hier triomphante, sûre d’elle-même et conquérante, la chirurgie publique est devenue le symptôme le plus déroutant de la crise de l’hôpital public. Cela va mal, de plus en plus mal. Au point qu’aujourd’hui, plus de 60 % de la chirurgie se fait dans le privé, alors que le rapport était inversé, il y a vingt ans. Plus grave, la qualité baisse. «Aujourd’hui, si vous avez besoin d’être opéré dans le public, vous êtes confronté à un double aléa : une incertitude sur la qualité et une autre sur le tarif, car bien souvent vous serez confrontés à des dépassements d’honoraires», dit avec consternation François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière et partisan acharné du public.
Activité déclinante.
La faute à qui ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Longue dérive, en fait. La chirurgie a connu une évolution sans précédent. D’un travail solitaire, elle est devenue une pratique collective, nécessitant des plateaux techniques performants. Mais depuis vingt ans, les pouvoirs publics ont regardé de loin ces changements de fond. Ils n’ont touché à rien, laissant vivoter un grand nombre de services chirurgicaux à l’activité déclinante. Alors que le privé, pendant ce temps, entamait sa mutation, et profitait des changements technologiques et organisationnels pour s’imposer.
Selon des études confidentielles de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), plus des deux tiers de la chirurgie ambulatoire se font aujourd’hui dans les cliniques privées. Or, la chirurgie ambulatoire est celle qui se pratique de plus en plus. Elle nécessite des organisations plus souples, avec moins de contraintes, des blocs opératoires qui fonctionnent de façon continue. L’hôpital public, engoncé dans des règles de fonctionnement, a laissé cette chirurgie partir dans le privé. «C’est devenu un quasi-monopole», lâche un responsable de la Cnam.
Cercle vicieux.
Parallèlement, l’hôpital public a perdu de son attractivité. En France, les chirurgiens ne manquent pas (ils sont près de 15 000), mais ils sont mal répartis, géographiquement et entre public et privé. Et au final, il y a un manque cruel de chirurgiens dans le public : en 2006, 23 % des postes de chirurgie n’étaient pas utilisés dans les hôpitaux publics. De plus, un nombre important de postes - environ 6 000 - sont occupés par des médecins ou des chirurgiens à diplôme étranger. «S’ils ont, en majorité, un bon niveau, le problème est que souvent ils travaillent seuls ou à deux. Or, le travail en équipe permet de s’améliorer, mais cela sert aussi de filet de précaution», analyse François Aubart. Et l’avenir n’est pas rose. En dépit d’une légère reprise, il manque de candidats à l’internat. En chirurgie digestive, il y a 25 inscrits pour 116 postes.
D’où le cercle vicieux actuel. Faute de chirurgiens, la qualité s’en ressent. L’activité aussi. Conséquence secondaire : l’hôpital public est aussi un lieu d’enseignement, essentiel pour le futur. Or, quand on s’attarde par exemple sur la chirurgie de la cataracte, seulement cinq CHU en France ont 10 % de «parts de marché» dans leur région. Difficile, dans ces conditions, d’enseigner cette technique.
Dans ce contexte, on comprend le coup de colère du professeur Henri Guidicelli (lire ci-contre). Le rapport du sénateur Larcher sur les missions de l’hôpital, attendu le 9 avril, sera décisif. Tout le monde le sait : il faut dessiner un nouveau paysage hospitalier. Et de nouvelles règles. (Libération)
Éric Favereau, Libération - www.liberation.fr