Faire l'autruche ou faire la chieuse
Je vais parler de moi. Exceptionnellement. Une manière de m'excuser pour le ralentissement de ce blog et de constater que les malades ont des progrès à faire.
La santé, direz-vous (mais oui, j'entends déjà les vétilleux), n'est pourtant pas un produit de grande consommation. Certes, certes, mais il n'est pas interdit de poser des questions, comme il n'est pas interdit de lire les étiquettes.
Je sors de deux jours d'hosto. C'est mon cinquième séjour à l'hôpital Saint-Louis à Paris en deux ans, c'est dire que je suis une patiente aguerrie et blindée. Hélas, ma voisine de lit ne l'était guère. «C'est la première fois que je vais à l'hôpital.» Et ne cherchait guère à l'être. Elle répétait en boucle : «J'ai une boule, mais c'est pas méchant...» Intercalé de temps en temps par : «Et vous, c'est pas méchant, hein ?»
Portugaise de 44 ans, elle parlait beaucoup, mais parlait mal le français, malgré ses vingt-cinq ans dans l'Hexagone. En gros, je devais lui traduire après coup chaque visite des infirmières ou des médecins (traduire, je m'entends : répéter et expliquer leurs propos avec des mots simples).
Bref, déboule avant-hier dans la chambre un jeune mec en blouse blanche. Vu son badge rouge, c'est un médecin. Il va droit vers elle : «Vous ne me reconnaissez pas ?… Je vous opère demain.» Il lui palpe le sein. «On fera d'abord un repérage à la radio, avant de vous passer au bloc», ajoute-t-il en partant. Elle semble acquiescer.
Moi: «C'est votre chirurgien ?»
Elle : «Je sais pas, vous savez, moi, les noms…»
Et je découvre petit à petit qu'elle ignore ce qu'est un oncologue (je n'ai pas osé dire «cancerologue» pour ne pas lui foutre les chocottes), un repérage, une mammographie, une biopsie et tout le merveilleux lexique des tumeurs bénignes et malignes…
Balancée dans l'inconnu, sans chercher à savoir. Peut-être sans vouloir savoir…
Ballotée de la douche au repérage, inquiète plus que tout à l'idée d'être nue sous la blouse opératoire, de devoir enlever sa culotte, «vous êtes sûre ?», «ben oui, même la culotte…»
Je lui souhaite que, effectivement, ça ne soit «pas méchant». Car, si ça l'était, voilà l'exemple même d'une malade à côté de la plaque, qui va dérouiller d'autant plus qu'elle est totalement larguée.
Je m'étonne aussi que son «médecin de famille», qui l'avait adressée ici, ne lui ait pas expliqué le minimum à savoir sur ce qui l'attendait. De surcroît, elle avait forcément vu un médecin-oncologue de Saint-Louis avant l'opération. «Et qu'est-ce qu'il vous a dit, le médecin ici ?», que je lui demande.
Réponse : «Oh, c'était une femme, très gentille…» Et moi d'insister : «Et c'était qui ?» «Ah, je sais pas…»
Même si certains médecins ont des progrès à faire dans la communication, j'imagine que se cogner de telles patientes, jouant l'autruche à merveille, ça doit être coton…
Mais je dois concéder que certaines autorités médicales préfèrent peut-être ce profil à des chieuses comme moi qui, oh sacrilège, avais demandé à consulter mon dossier médical, lors de mon précédent séjour. Faut dire que je m'ennuyais (c'est long les après-midi à l'hosto) et que je croyais que c'était tout simple de consulter son dossier avec la loi Kouchner de 1995 sur le droit des malades, une loi d'ailleurs assouplie en 2002 (je m'étais renseignée avant).
Ben non, ça avait foutu un souk dans le service de chirurgie réparatrice (service au demeurant parfait, oui, je tiens à le dire). C'était même jamais arrivé qu'un patient demande à voir son dossier ! Consulté, le sous-chef du service avait surgi dans ma chambre, sec comme une trique, me toisant et déversant ses remontrances devant tant d'audace : «Vous ne nous faites pas confiance.»(sic)
Finalement, en arguant à plusieurs reprises, comme un mantra, de «la loi Kouchner de 1995, révisée en 2002», j'avais réussi à négocier le droit de feuilleter mon dossier en présence de l'interne qui, je sais, n'avait pas que ça à faire… Bref, un quart d'heure à tout casser.
Oui, y a des progrès à faire, de part et d'autre.