Longtemps négligés, les cancers professionnels font l'objet d'un nombre croissant d'études. L'Association pour la recherche sur le cancer (ARC), l'Institut national du cancer (INCa) et la Fédération des accidentés de la vie (Fnath) ont lancé, lundi 18 juin, un appel à projet pour des recherches pluridisciplinaires. Destinée à soutenir des travaux portant sur "l'exposition et la reconnaissance des cancers professionnels" en épidémiologie, santé publique, histoire, sociologie, économie et psychologie, cette initiative est dotée de 1,2 million d'euros sur deux ans.
La connaissance du nombre de personnes atteintes d'un cancer professionnel est qualifiée de "faible, faute de registres" par l'INCa. L'estimation qui prévaut est que 5 à 10 % des cancers diagnostiqués sont liés à une exposition professionnelle à un agent cancérogène. Chaque année en France, de 11 000 à 23 000 nouveaux cas de cancers sont attribuables aux conditions de travail.
Ces pathologies se traduisent par de fortes inégalités sociales : un ouvrier meurt trois fois plus de cancer du poumon qu'un cadre et 70 % des salariés exposés à des cancérogènes sont des ouvriers. Dans le cas du cancer de la vessie, "les facteurs professionnels expliqueraient la moitié des différences sociales observées pour cette pathologie", remarque le docteur Ellen Imbernon, du département santé travail de l'Institut de veille sanitaire (InVS) dans un document publié par l'InVS.
"Pendant longtemps, en France, la recherche dans ce domaine est restée limitée à quelques équipes de chercheurs, alors qu'au plan international existait une forte activité", constate le professeur Marcel Goldberg (Inserm U687), membre du conseil scientifique de l'ARC. Au cours des dix ou quinze dernières années, les cancers professionnels ont acquis une plus grande visibilité sociale, ce qui a permis un développement de la recherche et un accroissement des moyens financiers. "Ce changement s'est produit autour de la révélation de l'ampleur des dégâts liés à l'amiante et dans le contexte du sida. La santé publique et les crises sanitaires ont tiré la recherche vers le haut", souligne l'épidémiologiste.
Cette prise de conscience s'est traduite par le développement d'un actif mouvement associatif et par la création du département santé publique à l'InVS, puis du département santé-travail. "Pour la première fois en France, une institution publique a été chargée de travailler sur les risques professionnels, hors de l'orbite des partenaires sociaux", analyse Marcel Goldberg.
Parallèlement, l'ARC a lancé en partenariat avec la Fnath un programme de recherche "Areca", avec un budget de 1,5 million d'euros, consacré aux cancers professionnels, dont la direction avait été confiée au professeur Goldberg. Ce travail vient tout juste de se terminer après quatre années. Le nouvel appel à projet en prend, en quelque sorte, le relais. D'autres initiatives, émanant de la Ligue nationale contre le cancer, de l'INCa ou encore de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), sont allées dans le même sens. L'INCa a par exemple adressé une brochure à l'ensemble des médecins. Intitulé Détection des cancers d'origine professionnelle : quelques clés pour agir, ce document vise, selon Pascale Flamant, directrice générale de l'INCa, "à inciter les médecins à repérer l'origine potentiellement professionnelle de cancers et à les déclarer, mais aussi de faire bénéficier de leurs droits les personnes atteintes".
L'une des difficultés dans l'identification est que, sur le plan médical, rien ne distingue les cancers d'origine professionnelle des autres. Ainsi, plus de 60 % des cancers du poumon d'origine professionnelle ne sont pas reconnus comme tels.Il en va de même pour 80 % des leucémies et la quasi-totalité des cancers de la vessie d'origine professionnelle.
Or, la déclaration de ces affections est très importante pour les malades concernés. En cas d'arrêt de travail, les indemnités journalières sont plus élevées que lors d'un arrêt maladie classique. En outre, il n'existe pas de délai de carence. Même retraité depuis quinze ans ou ayant changé de métier, un travailleur ayant été exposé à un cancérogène dans le cadre de son activité peut faire l'objet d'une déclaration. Les soins sont alors pris en charge à 100 %, sans devoir avancer les frais.
Le fait d'avoir été exposé au cours de sa carrière à un cancérogène - même dans le cas où aucune pathologie n'a été détectée - peut permettre à des personnes n'étant plus en activité de bénéficier d'un suivi médical personnalisé. Celui-ci inclut des consultations et examens gratuits, effectués par le médecin traitant ou un spécialiste dans les consultations de pathologies professionnelles des CHU.
Cet effort devrait permettre de réduire la sous-déclaration des cancers d'origine professionnelle. Pour autant, il ne sera pas suffisant. En effet, certains facteurs professionnels reconnus comme cancérogènes avérés par le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC) ne sont pas encore considérés comme tels dans la législation ou la réglementation. Les expositions à ces substances ne peuvent donc être reconnues comme maladie professionnelle.
Paul Benkimoun - http://www.lemonde.fr