Le Centre fédéral d’expertise (KCE) fait le point, 3 ans après sa création. Il constate qu’il est écouté dans certains cas, snobé dans d’autres. Si son utilité ne fait pas de doute, il est critiqué comme trop économiste et éloigné des acteurs de terrain. Les organismes assureurs, qui sont partie prenante de par leur expertise, ne le voient plus comme un concurrent déloyal de l’Agence intermutualiste. Les Mutualités Libres continuent de s’interroger sur son influence réelle.
Le KCE a pour objet de fournir une information indépendante et scientifiquement fondée aux acteurs des soins de santé, telle est sa mission première. Toutefois, habitué à distribuer bons et mauvais points, le Centre s’est livré, à l’occasion de son troisième anniversaire, à une auto-évaluation de l’influence que ses constats ont pu avoir sur les décisions politiques et celles des acteurs du secteur.
Interview de Lucio Scanu, Président du Stoma Ilco Bruxelles – Wallonie asbl.
Suite à une étude faite l’an dernier par le KCE (le Centre fédéral d’expertise) sur l’usage du matériel de stomie, notre association, le Stoma Ilco Bruxelles – Wallonie asbl, a été invitée à participer aux négociations à l’INAMI. Nous considérons cela comme un grand pas en avant puisqu cette commission de bandagisterie est constituée que des mutualités et des bandagistes à l’exclusion des industriels, des patients, des pharmaciens et des infirmières. Notre avis n’est que consultatif. Le rapport du KCE avait dénoncé un manquement de transparence, de démocratie et également la trop grande rigidité du système de dotation trimestrielle. Tout cela nous a permis de nous rendre compte que dans ces commissions les chasses gardées sont bien cadenassées et qu’on ne tient que très peu compte de l’intérêt des patients.
Enfin, le KCE a permis aux patients de se retrouver à l’INAMI et donc a fait correctement son travail. Ce rapport a été publié en français et en néerlandais pour respecter le bilinguisme de cette organisation.
Réalisations
Côté satisfecit, le centre pointe la rationalisation controversée des centres de cardiologie entamée par Rudy Demotte sur base du rapport idoine et le schéma de vaccination anti-pneumococcique en trois injections, recommandé par le KCE, qui a été adopté. Les médecins ont aussi apparemment modifié leurs habitudes de prescription d'examens pré-opératoires. « On peut espérer également que les médecins informent mieux leurs patients des risques liés au traitement du cancer de la prostate », estime le KCE. Qui reconnaît pourtant que les « prostamobiles » sillonnent toujours la province de Liège en dépit d’un rapport très sévère sur la fiabilité des tests PSA.
Autre ombre au tableau : plusieurs études restent sans écho. Le KCE proposait ainsi de séparer la facturation des prothèses dentaires de celle des honoraires du dentiste « mais la proposition est jusqu'à présent restée lettre morte », admet le centre.
Orientation économiste
Outre que le monde académique regrette la « discrétion » des universités dans les instances dirigeantes du centre, du côté des organismes assureurs, certaines critiques se sont fait jour.
D’une part, le KCE a été vécu comme un concurrent direct de l’Agence intermutualiste, et d’autre part, le centre semble choisir une orientation très économiste trop éloignée des problèmes comme l’accessibilité des soins. Le centre s’en défend, arguant du fait que la notion de coût-efficacité est centrale dans sa démarche. Ce critère débouche régulièrement, affirme-t-il, sur des souhaits d’investissements supplémentaires. « Cela apparaît clairement, par exemple, dans le rapport sur l'Herceptin ou dans celui sur les médicaments en maisons de repos et de soins où le KCE établit que certaines personnes âgées reçoivent parfois trop peu de médicaments ou pas les bons ». Toutefois, son expertise en Health Technology Assessment reste timide.
Influences restreintes
Sur le terrain, il faut reconnaître que le KCE ne peut se passer de l’expertise des mutuelles via l’Agence intermutualiste dont le concours est demandé pour la réalisation de certaines études. De concurrent, le KCE fait de plus en plus figure de partenaire, même si, sous sa forme promise (avant la mandature de Frank Vandenbroucke), il aurait fait office de centre totalement indépendant de l’Etat et ouvert à tous.
Autre élément : l’influence réelle ou supposée du centre sur le comportement des patients. Fidèle à leur optique de solidarité responsable, les Mutualités Libres ne peuvent que voir d’un bon œil des études visant à améliorer les services au patient et leur implication dans ces améliorations. Ce fut le cas notamment de l'étude sur les suppléments hospitaliers et celle sur la responsabilité médicale. Ces études, rappelle le KCE, « ont attiré l'attention sur la situation difficile respectivement des malades chroniques et des victimes d'erreurs médicales. Ce qui a aussitôt entraîné des mesures de protection à l'égard de ces citoyens. »
Utile
Le centre semble sûr d’influencer les médecins, mais il serait utile de savoir ce qu’en pensent leurs organes représentatifs. Car si la qualité des expertises du KCE, fruit parfois d’intenses appels d’offre en direction du monde universitaire, est remarquable, son influence réelle sur le terrain reste à démontrer.
Bon an mal an, le centre apparaît cependant utile pour lancer des débats sur l’amélioration nécessaire d’un secteur soumis à de fortes pressions centripètes et à moult critiques venant des financeurs, patronat en tête.
De nombreuses années sans doute seront encore nécessaires pour qu’il prenne la place occupée en Grande-Bretagne par le NICE britannique (National Institute for Clinical Excellence). Encore l’influence de ce dernier, après plusieurs années de loyaux services, n’est pas évidente.
Comme le rappelle le Pr Frank Buntinx, directeur du CEBAM (Centre belge pour l’Evidence-Based Medicine) dans le Morgen (11.04.06), seule un traitement médical sur cinq répond à la médecine par les preuves. Remet-on pour autant en question leur efficacité ?
Centre fédéral d'expertise des soins de santé - http://kce.fgov.be