Cher docteur,
Notre petite A… est née prématurément avec une malformation anorectale (absence d’anus à la naissance). Les médecins nous ont expliqué qu’elle était trop petite pour être opérée de cette anomalie et qu’il faudrait réaliser une « colostomie transitoire » en attendant qu’elle grandisse. Il était question de placer un anus artificiel avec une poche sur le ventre de notre bébé… ! Je vous avoue que pour nous autres, parents, cela a été un choc terrible dans la mesure où cette solution allait « défigurer » notre petite fille ! Je sais ce que c’est : mon beau-père a été opéré d’un cancer du colon et il est porteur d’une poche qu’on lui a imposée et qu’il vit très mal ! Au début, on retient que c’est une question de vie ou de mort, alors on accepte sans d’autres explications, et on est même soulagé qu’elle soit sauvée. Et puis au centre néo-natal, on découvre notre bébé avec deux petits trous dans le ventre par où sortent les selles.
Passés les premiers jours, viennent les questions :
- Combien de temps avec cette stomie ?
- Comment gérer cela à la maison ?
- Que vont dire et penser nos autres enfants, les grands-parents ?
- Quelle cicatrice ? Est-ce qu’elle va manger normalement ?
- Et « transitoire » c’est quoi ? Des mois ? Des années ?
Nous n’avons pas encore eu de réponses à toutes nos questions qui n’ont surgi que plus tard. Nous ne savons pas vers qui nous tourner pour exprimer tout cela.
S’il vous plaît, docteur, aidez-nous !
Cette lettre fictive mais peut refléter une situation réelle. Elle soulève plusieurs pistes de réflexion concernant les enfants stomisés et plus largement les enfants présentant un « handicap »:
- D’abord, le vécu des parents : l’atteinte de leur propre image narcissique au travers de ce qui est vécu comme une mutilation de leur enfant est génératrice d’angoisse et de frustrations s’il n’y a pas d’exutoire possible.
- Ensuite, le vécu des enfants : l’acceptation et l’adaptation dans un premier temps jusqu’à la prise de conscience de la différence et de l’ «anormalité ». L’adolescence, où tout est remis en question, est une période de très grande fragilité pour ces enfants. Entre parenthèses, le fait que la stomie soit transitoire ou définitive ne pose pas le problème dans les mêmes termes pour les deux intervenants.
En effet, les parents acceptent mieux une solution transitoire et les enfants en bas-âge s’adaptent à toutes les solutions. Malgré tout, l’acceptation d’une « autre normalité » peut-être facilitée par un travail d’accompagnement des parents avec l’équipe thérapeutique (chirurgien, infirmier(e)s, psychologue…). A cette fin, il ne suffit pas de quelques explications ex cathedra. Il importe d’écouter les parents, leur anxiété et leurs questions plus pratiques. Cela n’est pas toujours facile pour de multiples (bonnes ou mauvaises) raisons, que ce soit le manque de temps de la part du médecin, ou des « difficultés de communication inter-personnelle » de part et d’autre.
Parents, prenez votre courage à deux mains : interpellez les médecins, posez les questions dérangeantes (pour vous comme pour eux). Il faut savoir qu’il n’y pas toujours des réponses définitives aux questions, pas de certitudes, mais il est bon de l’entendre de la bouche du médecin qui vit aussi avec ses doutes et ses questions… Chaque famille se reconstruit en fonction de ses possibilités par rapport à cette nouvelle donne que la vie a apportée. L’acceptation de ce « nouveau corps » passe par un apprentissage nécessaire pour « être bien dans sa peau » !
Dr Sakellarios Klimis - Les Mains en poche - Stoma Ilco Bxl - Wallonie