La Commission européenne vient de demander officiellement à la Belgique de lui faire parvenir ses observations concernant les caisses de maladie privées proposant une assurance maladie complémentaire (qui s'ajoute à la couverture de base de la sécurité sociale) et qui sont en concurrence avec les compagnies d'assurances.
En Belgique, les caisses de maladie privées sont soumises à des règles nationales spécifiques, et non aux règles communautaires qui s'appliquent aux compagnies d'assurances en ce qui concerne la solvabilité, le contrôle et les capitaux des prestataires d'assurances.
D'après la Commission, il pourrait en résulter différents niveaux de protection selon les assurés, ainsi que des distorsions sur le marché. La Commission ne remet nullement en cause la structure du régime de sécurité sociale belge ni le droit des caisses de maladie privées de proposer une assurance maladie complémentaire. La demande de la Commission prend la forme d'une lettre de mise en demeure, qui constitue la première étape de la procédure d'infraction prévue à l'article 226 du traité CE.
La Belgique est invitée à présenter sa réponse dans les deux mois. Après analyse de cette réponse, la Commission décidera d'émettre ou non un «avis motivé» qui demande au gouvernement belge de modifier la loi concernée (1).
Toutes les personnes soumises au système d'assurance maladie obligatoire belge (notamment les salariés et les travailleurs indépendants) doivent être affiliées à une caisse de maladie privée (l'une des «mutualités») ou à la caisse mutuelle auxiliaire publique (la CAAMI).
En application de la loi du 6 août 1990, les caisses de maladie privées participent à l'exécution du régime de sécurité sociale obligatoire pour l'assurance maladie et l'assurance invalidité et doivent instituer au moins un autre service dans le domaine de la protection sociale, de l'aide aux personnes ou de la santé.
Bien que leur tâche principale soit de participer au système d'assurance obligatoire des risques de santé (dans le cadre du système de sécurité sociale), les caisses de maladie privées opèrent également sur le marché de l'assurance maladie privée complémentaire. Il s'agit par exemple de l'assurance couvrant les frais supplémentaires d'hospitalisation ou les «petits risques de santé» des travailleurs indépendants. Cette couverture complémentaire est proposée par les caisses de maladie privées en concurrence avec les compagnies d'assurances. Ce segment de marché est en pleine expansion.
En ce qui concerne les travailleurs indépendants, le régime légal de sécurité sociale en vigueur ne couvre pas leurs «petits risques» (essentiellement les consultations auprès de médecins généralistes et l'achat de médicaments). Ces petits risques peuvent être couverts soit parles caisses de maladie privées, soit par les compagnies d'assurances, et il y a donc concurrence entre ces prestataires pour la couverture des petits risques des travailleurs indépendants. Le régime juridique applicable aux caisses de maladie privées (loi du 6 août 1990) est différent du régime juridique applicable aux compagnies d'assurances. Les caisses de maladie privées ne sont pas soumises au même type de contrôles ni aux mêmes règles prudentielles.
Élément nouveau dans le débat : la Commission considère que la première et la troisième directives non-vie (directives du Conseil 73/239/CEE (2) et 92/49/CEE (3)) sont applicables aux caisses de maladie privées belges lorsque celles-ci offrent une assurance maladie complémentaire sur le marché. En outre, la Commission estime que la loi belge qui s'applique aux caisses de maladie privées (loi du 6 août 1990) n'a pas correctement et intégralement mis en œuvre les dispositions de ces deux directives en ce qui concerne les activités d'assurance maladie complémentaire des caisses de maladie privées. La Commission ne vise ici que les questions qui entrent dans le champ d'application du droit communautaire en matière d'assurance.
Le rôle des mutualités
La Commission ne met pas en question le rôle des caisses de maladie privées dans le régime légal d'assurance maladie. Le statut et la réglementation qui s'appliquent aux caisses de maladie privées lorsqu'elles proposent une assurance dans le cadre du régime légal d'assurance maladie ne sont pas en cause non plus. Il n'est pas question d'empêcher les caisses de maladie privées de proposer leurs services sur le marché de l'assurance maladie complémentaire.
Toutefois, la Commission estime que ce type d'activité doit être exercé conformément aux dispositions correspondantes de la première et de la troisième directives non-vie, celles-ci offrant de meilleures garanties aux assurés et à leurs ayants droit, en particulier sous la forme d'exigences plus strictes en matière de solvabilité. La Commission a demandé à la Belgique de fournir des éclaircissements afin de pouvoir apprécier la compatibilité des dispositions des lois belges en vigueur avec le droit communautaire, notamment les directives assurance non-vie.
Justification
La Belgique va ainsi devoir justifier, autrement que par une différence de vision sociétale, le «deux poids, deux mesures» qui caractérise aujourd'hui le marché belge de l'assurance des soins de santé. Encore, l'Europe ne s'est-elle pas penchée sur la licéité du caractère obligatoire de l'assurance que certaines mutuelles incluent d'office dans la cotisation complémentaire. Dans tous les cas, une plus grande transparence ne fera de tort à personne.
1. Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice.
2. Première directive 73/239/CEE du Conseil du 24 juillet 1973 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice, JO L 228 du 16.8.1973, p. 3.
3. Directive 92/49/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non-vie»), JO L 228 du 11.8.1992, p. 1.
Assureurs contre mutuelles, deuxième round.
Assureurs et mutuelles se sont déjà affrontés sur le terrain de la concurrence en matière d'assurance hospitalisation. Le combat judiciaire avait été perdu par les assureurs (1).
En effet, au terme d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Bruxelles en date du 23 mai 2003, les mutualités avaient certes été considérées comme des vendeurs, et à ce titre soumises à la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, mais la cour avait jugé légitime qu'en raison d'un régime légal distinct, elles échappent au contrôle instauré par la loi du 9 juillet 1975 pour les opérations d'assurance.
Avec cette interpellation de la Belgique par la Commission, il se pourrait que l'Europe rejoigne cette fois les arguments des assureurs qui estiment que les assurés doivent bénéficier de la même garantie de bonne fin, qu'ils aient souscrit leur contrat via une mutuelle ou auprès d'une compagnie d'assurance. Contrairement à ce que notre Cour d'arbitrage a toujours affirmé, il faudrait considérer que le fait que les mutualités soient soumises à une législation et à des moyens de contrôle propres est discriminatoire envers les entreprises d'assurances.
1. «L'Echo» du 6 août 2003 et du 2 septembre 2003.
Paul Bruyere - http://www.lecho.be