« Je vous remercie de m’avoir invité. C’est un vieux principe de la sagesse occidentale qu’un semblable cherche un semblable car l’on aime se trouver avec un semblable. C’est même le sens profond d’une sympathie. Cette année vous n’aurez donc pas un de ces témoignages si beaux d’un jeune, mais d’un vétéran de la maladie de Crohn, d’un ancien combattant si vous voulez… »
Je suis né pas loin d’ici, à la Chaussée d’Ixelles, le 26 septembre 1918. Vous pouvez ainsi me situer dans l’histoire, mais aussi soupçonner qu’à la fin de la première guerre, les conditions alimentaires à Bruxelles n’étaient pas très favorables à une naissance.
Quoi qu’il en soit, j’ai toujours eu des problèmes digestifs, et dès le collège, mes professeurs m’ont trouvé, à tort ou à raison, paresseux… et sans la moindre volonté.
En dépit de cela, prudemment peut-être, je me suis fait Moine Trappiste à Chimay en 1941, mais ma maladie (pour ceux qui auraient le moindre soupçon) n’a rien à voir avec une absorption exagérée de boissons.
C’est à cette époque que l’on a détecté avec un microscope électronique (on n’arrête pas le progrès) que j’étais dépourvu de lactose, enzyme nécessaire à l’absorption du lait. Or, durant mon noviciat, le médecin du village me prescrivit un régime de deux litres de lait par jour (vous voyez le résultat...).
C’est en 1965, à l’âge de 47 ans que je devins assez malade (même très malade) et qu’à cause de mon comportement languissant, je fut considéré comme « un cas » (un cas bizarre) dans ma communauté. Mes supérieurs voulurent m’envoyer un psychanalyste tellement j’étais « bizarre ».
Par chance, je partis en séjour de repos à la mer chez ma sœur et le médecin du lieu, après m’avoir examiné, se fâcha et téléphona à mon supérieur pour lui signifier que c’était fou de sa part… mais sans oser l’envoyer lui-même chez un psychiatre.
Il m’envoya alors en clinique où l’on diagnostiqua un Crohn. C’est alors que commença mon périple de clinique en clinique, de convalescence en convalescence, et d’opération en opération.
La première en 1968 puis traitement que vous connaissez ... Cortisone, Salazopyrine etc.…
Entre 1981 et 1983 encore quatre opérations de l’intestin, pour terminer le 12 août 1983 (à 65 ans) par une coloprotectomie totale et une iléostomie définitive.
Après 28 séjours en clinique, 7 opérations (dont 5 à l’intestin) et 6 longs séjours en maison de repos, c’était enfin fini et désormais (donc depuis 11 ans) je suis en paix, ayant une nouvelle vie. J’ai repris mes activités en communauté : je me lève pour l’Office vigile à 4 heures du matin, ce que je n’ai jamais pu faire sauf au début de ma vie religieuse.
Le fait d’avoir été malade durant presque 20 ans de cette drôle de maladie, à laquelle personne ne croit autour de vous, m’a favorisé en quelque sorte.
J’ai pu me consacrer à l’étude. J’ai beaucoup voyagé et j’ai été invité à faire des conférences dans nos communautés d’Amérique. Mon dernier voyage date d’il y a 6 mois. J’ai pu aller un mois en Amérique latine, en Argentine et au Chili.
Ayant décidé de ne plus voyager désormais (car quand même il faut être sage et rester un peu dans mon Monastère où je suis chargé de la formation des jeunes), j’attends désormais le grand voyage mais avec la joie et la paix que donne, entre autres choses, une santé satisfaisante grâce à cette longue patience de tant d’années, et grâce évidemment aux médecins et infirmières qu’on ne peut nommer mais que je remercie de tout mon cœur.
Dans les relations que j’ai eues avec le monde médical (infirmiers, infirmières, médecins, chirurgiens & tout le personnel des cliniques ou hôpitaux) j’ai pu entrevoir les grosses difficultés qui existent dans notre monde moderne des relations sociales. Il est très évident que les progrès techniques, la technologie, l’information, l’informatique etc.… rendent très souvent, il faut bien le dire, les grandes cliniques ou hôpitaux inhumains.
Il y a des amitiés qui se nouent et je pense aussi bien grâce aux médecins qui restent des hommes et des femmes que grâce aux patients qui ne s’enferment pas dans leur maladie jusqu’à en devenir des malades professionnels mais qui restent plein d’espoir et qui recherchent précisément cette relation personnelle et humaine. Je vais vous dire un souvenir car en préparant ce témoignage je me suis souvenu de tout ce qui s’est passé en 25-30 ans. Ce souvenir, très beau que je vous communique, vous ne le répéterez pas à mes supérieurs…
Dans la salle de réveil, après une grosse intervention chirurgicale, lorsque j’ai ouvert les yeux (je n’avais pas tellement envie de revenir à la vie – j’étais très bien endormi ...) j’ai vu penché sur moi, à l’envers, un admirable visage de jeune infirmière et j’ai dit : « je suis au ciel ».
L’on pourrait se demander pourquoi j’ai obéi aussi bien aux médecins pendant tout ce temps et après tout, si je crois vraiment que l’autre monde au-delà de cette mort qui m’attend est plus beau que celui-ci – que j’y serai plus heureux, pourquoi alors ai-je traîné 25 ans dans les mains des médecins ?
Il y a de l’instinct de conservation que tout le monde connaît mais aussi je suis philosophe. Je pense que c’est dans cette vie-ci que nous préparons l’autre. Il y a une relation entre les deux et peut-être un jour reverrai-je ce visage que j’ai vu que quelques minutes dans la salle de réanimation du quartier opératoire d’un hôpital.
Ceci est la reproduction d’une personne souffrant de maladie de Crohn que nous félicitons pour son courage et la décision qu’il a su prendre et nous espérons qu’elle pourra aider ceux qui devraient se trouver un jour devant le même problème. Nous publions ce texte avec l'accord du Comité Médical et Scientifique de l'Association Crohn et RCUH - 17, rue de la Forêt de Soignes - 1410 Waterloo
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