Ceux qui souffrent de douleurs chroniques racontent, incompréhension, résignation, exclusion.
Voilà sans doute les trois mots qui résument le plus simplement possible la vie des personnes qui souffrent de douleurs chroniques.
Il ne s’agit pas ici d’une rage de dents temporaire qui disparaît après un passage chez le dentiste. Encore moins d’un vague mal de tête suite à des ripailles trop arrosées. Les douleurs dont il est ici question sont récurrentes, insidieuses, presque insupportables.
Certains de ces patients vivent même terrifiés à l’idée d’une nouvelle crise. Parce que trop fréquemment le diagnostic est difficile à poser et l’arsenal thérapeutique, réduit.
« Ces douleurs chroniques sont d’origines diverses, expliquait voici peu le Pr Hans Krees, président de la Fédération européenne des associations d’études de la douleur (Efic), qui a mené la longue enquête « PainStory » (Pain Study Tracking Ongoing Responses for a Year) auprès de centaines d’Européens. Elles peuvent résulter de lombalgies, d’arthrite, d’ostéoporose, de problèmes neuropathiques. Il peut aussi s’agir de douleurs d’origine maligne. Notre étude toutefois n’a pas porté sur cette dernière catégorie de patients. »
L’enquête européenne dont les résultats viennent d’être présentés au dernier congrès de l’Efic à Lisbonne, permet de découvrir l’infernal quotidien de ces personnes qui craignent le lendemain comme la peste. C’est là le grand avantage de cette étude menée auprès de 300 personnes issues de treize pays différents, dont la Belgique. Elle a donné la parole aux patients, de manière suivie et diverse. Ils ont pu consigner au jour le jour leurs joies, leurs angoisses, leurs souffrances dans un carnet de note, un bloc de dessins, des photographies, des œuvres artistiques diverses.
« Certains jours sont insupportables. Je dois arrêter. J’ai envie de pleurer », confie ainsi un Espagnol d’une trentaine d’années dans son carnet de bord. « Je ne parviens pas à sortir de mon lit à cause de la douleur. Je dois organiser ma vie en fonction de ma douleur », explique un quadragénaire finlandais.
C’est là un des premiers enseignements de cette étude qui a duré un an. Six patients sur dix y avouent que la douleur chronique contrôle leur vie, toute leur vie. Professionnelle bien sûr, mais aussi sociale et familiale.
La douleur les empêche de travailler. Elle limite leurs activités. « On ne va plus aussi souvent qu’on le voudrait au marché par exemple, dans les boutiques ou simplement prendre un café chez des amis », expliquent-ils. On observe aussi des sautes d’humeurs qui rendent la vie de famille très difficile.
Les médicaments
Une fois le diagnostic posé, des médicaments existent pour combattre ces douleurs. Aspirine, paracétamol, anti-inflammatoires, corticoïdes, opioïdes : la palette semble chamarrée.
« Mais elle n’est pas aussi lumineuse qu’on pourrait le penser à première vue, précise le Pr O’Brien, de l’Université de Cork en Irlande. Ces médicaments, lorsqu’ils sont pris régulièrement, induisent des effets secondaires qui à leur tour constituent une gêne pour les patients. On remplace en quelque sorte un mal par un autre. »
Un exemple ? Les opioïdes, les médicaments les plus puissants dans le traitement des douleurs, sont la source de désagréments gastriques, constipation en tête, laquelle touche la moitié des patients sous de tels analgésiques.
Vera, une Gantoise qui a participé à cette aventure, abonde : « Je ne connaîtrai plus jamais une vie sans douleur, c’est ce qui m’est le plus difficile à admettre aujourd’hui. Je suis totalement habituée aux médicaments et les pilules n’ont plus l’effet escompté. Et je ne suis pas épargnée par les effets secondaires : troubles de la mémoire, transpiration excessive, prise de poids et douleurs d’estomac… »
Après la résignation vient l’exclusion. La crainte d’une nouvelle crise mine la vie des patients. « On hésite à sortir, à voir ses amis. Ceux-ci prennent peu à peu leurs distances. Et on finit par se retrouver seule », dit encore Vera.
Outre le fait que pour chacun la vie s’organise (ou plus exactement se « désorganise ») en fonction de la douleur, l’étude PainStory constate aussi que la prise en charge de la douleur chronique est difficile et pas nécessairement efficace.
Au terme d’une année de suivi, 95 % des personnes participant à cette étude expliquaient toujours souffrir de douleur chronique. Et pour 19 % d’entre elles, elle s’est même intensifiée…
Des chiffres
PainStory s’est intéressée aux douleurs chroniques, soit celles qui durent depuis plus de trois mois et dont l’intensité est comprise entre 5 et 10 sur une échelle allant de 0 (aucune douleur) à 10 (« la pire douleur »). Un Européen sur cinq serait concerné.
- 80 % des personnes interrogées affirment que la douleur influence leur qualité de vie.
- 64 % disent avoir des problèmes pour marcher, 30 % pour se laver et s’habiller, 60 % pour dormir, 73 % pour exercer une activité quotidienne simple comme faire le ménage.
- 44 % font aussi moins d’exercices à cause de leurs douleurs. 38 % ont dû changer leur manière de travailler et 33 % ont dû réduire leur temps de travail.
- 47 % des personnes interrogées affirmaient au début de l’étude avoir des difficultés à s’occuper de leurs enfants. Un an plus tard, elles étaient 53 % à rencontrer ce type de difficultés…
Le soir
Christian du Brulle - http://www.lesoir.be