Jean-Charles Tellier préside la «section A» (titulaires d'officine) de l'ordre des pharmaciens. Il est pharmacien dans la Somme.
Le libre accès pour certains médicaments non-remboursés, c'est une bonne chose ?
A l'ordre des pharmaciens, nous sommes plutôt réservés. En termes de santé publique, qui doit passer avant toute autre considération, je n'y vois pas un réel intérêt. Sur la question des prix, il n'est pas non plus certain que cette mesure, en mettant en concurrence les marques, poussera réellement les laboratoires à baisser les prix. Je l'espère, et j'attends des laboratoires qu'ils aillent en ce sens, mais rien ne permet de le prévoir avec certitude.
Mais cela devrait quand même permettre aux clients de mieux comparer les prix ?
Il est vrai qu'aujourd'hui, beaucoup de patients arrivent en disant «je veux telle marque et pas une autre», parce que le laboratoire a fait une publicité particulière ou, pour une raison X ou Y, qu'il bénéficie d'une certaine aura. Le pharmacien peut bien sûr expliquer au patient que la marque en question n'est pas meilleure qu'une autre qui propose la même molécule moins chère, mais il ne peut pas imposer. Donc le point positif de cette mesure de libre accès, ce sera peut-être de permettre aux pharmaciens de mettre en avant d'autres médicaments, et notamment les génériques.
Mais pour cela il faut en donner les moyens aux pharmaciens, en créant notamment des centrales d'achat capables de négocier des commandes groupées, pour qu'un «petit pharmacien» bénéficie des mêmes tarifs que les autres. Enfin, il faudra veiller à ce que l'espace dévolu aux médicaments en libre-accès soit bien distinct du reste des produits en libre-accès, pour qu'il n'y ait pas de confusion.
Y a-t-il un risque d'automédication mal contrôlée ?
Même avec le libre accès, le pharmacien continuera à jouer son rôle indispensable de conseil. Mais le risque, c'est que les clients «stockent» des médicaments chez eux, en prenant des «médicaments d'avance». Et là, oui, on aura un risque d'automédication si les gens piochent dans leur armoire à pharmacie sans être informés de contre-indications qui peuvent être dangereuses ou des surdosages.
En Angleterre, où le libre accès, qui est de culture anglo-saxonne notamment parce qu'il y est plus difficile de consulter les médecins, est déjà en vigueur, certains médicaments comme le paracétamol, un temps en libre accès, ont dû être remis sous contrôle parce qu'il y avait trop d'abus. Enfin, le risque du libre accès est de pousser à la consommation, ce qui n'est pas le but recherché. Il est évident que les médicaments ne sont pas des biens de consommation comme les autres. Il ne faudrait pas qu'on en vienne à choisir un médicament comme une boîte de petits pois au supermarché.
Craignez-vous qu'à terme des médicaments soient vendus en grande surface ?
Depuis le début des discussions sur le sujet, Roselyne Bachelot le dit et le redit: ce n'est pas le but. Pour le moment c'est la seule assurance que nous avons. Mais je ne vois pas pourquoi on ferait sauter le monopole des officines, qui ont l'avantage de la proximité. J'imagine mal les gens prendre leur voiture pour aller acheter un médicament cinq centimes moins cher en grande surface, qui plus est sans le conseil d'un pharmacien dont c'est le métier, alors qu'ils ont une pharmacie au coin de la rue.
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